La dé-stimulation
Les neurosciences sont très à la mode et on analyse scientifiquement de mieux en mieux comment notre cerveau “répond” à différents sitmuli (stimulations) du monde. On peut mesurer de plus en plus précisément quelle zone du cerveau réagit quand on ressent du plaisir, quand on rêve… On se pose même la question de comment stimuler son cerveau pendant qu’on dort, pour par exemple apprendre une langue étrangère. On conçoit des pédagogies pour les enfants pour stimuler leur curiosité, leur intelligence et des programmes pour les personnes âgées pour continuer à stimuler le cerveau pour éviter de perdre en agilité du cerveau.
Pour les jeunes adultes qui sont en pleine puissance de leur cerveau et en même temps en sollicitation maximale par le cumul des activités professionnelles, personnelles, loisirs, sociales, on ne se pose étrangement pas la question de comment protéger son cerveau (et peut être ses émotions) de l’excès de stimulation. Il me semble que 3 grands phénomènes entrainent la stimulation toujours vers de nouveaux sommets:
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un phénomène ancien qui est l’urbanisation. En ville, le niveau de stimulation, visuelle, sonore, sociale est supérieure à celui à la campagne
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un phénomène beaucoup pointé du doigt qui est le progrès technologique, notamment numérique des 30 dernières années.
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et un dernier qui est moins apparent qui est le déploiement de la logique productiviste-capitaliste, eu delà de la sphère du travail, dans celle des relations personnelles et divertissements.
Alors qu’on parle de “dé-croissance”, “dé-consommation” devrions nous aussi parler de “dé-stimulation”?
A ma grande surprise le terme de “dé-stimulation” ne génère qu’un peu plus de 400 résultats dans une recherche google, autant dire RIEN.
Le seul document pertinent qui ressort est une thèse de Doctorat de Xavier Bonnaud de Institut d’Urbanisme de Paris – Université Paris XII Créteil qui mentionne le lien entre dé-stimulation sensorielle des individus dans l’environnement urbain. La dé-stimulation est une conséquence passive/défensive face à l’environnement hyper-urbain où l’agression provoquée par la densité de population, la proximité permanente de l’autre, les paroles et messages incessants dans l’espace public conduisent à anesthesier ses sens pour se défendre. D’ailleurs être tout le temps en interaction avec tout le monde via son smartphone est aussi une bonne technique pour se protéger des impacts des personnes physiquement présentes autour de soi, l’outil ultime étant le casque audio, le casque de jeux-vidéo en attendant les casque VR/VA qu’on portera dans la rue.. Comme l’espace personnel est menacé et que la zone tampon physique se réduit dans les villes, on recrée une zone tampon numérique. Cf la notion de zone tampon https://books.openedition.org/pum/10107?lang=fr
Les smartphones mais pas que…
J’observe une focalisation excessive sur le numérique, les comportements addictifs associés aux smartphones et autres écrans. C’est vrai que le smartphone est devenu un vecteur de sur-sollicitations majeur avec les notifications, les appels, les réseaux sociaux, les vérifications quasi permanente d’information…). Et Mais il existe de nombreuses autres stimulations, dont je recense ici quelques grandes catégories
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sur-stimulation d’information texte/parole : le nombre de megabytes d’information consommés par jour, des contenus plus courts, plus fréquents et plus intenses, notifications, paroles des personnes autour de soi..)
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sur-stimulation visuelle: lieux traversés, mouvement des personnes autour de soi, panneaux publicitaires, lumière des écrans/de la ville, couleur et mouvement de l’information..)
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sur-stimulation décisionelle : face au nombre important d’options dont on dispose à tout instant et qui reçoivent en permanence de nouvelles informations qui peuvent agir sur la décision, on décide et re-décide de plus en plus souvent.
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sur-stimulation auditive : l’explosion de la consommation de podcast, de musique en streaming a aussi augmenté la consommation.
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sur-stimulation relationnelle : au-delà des réseaux sociaux, le mode de vie urbain combiné aux technologies de communications, nous mènent à être en relation, en conversation une grande partie de notre temps éveillé.
Le profil de ’individu qui se sollicite tout le temps, en ne sortant que rarement dans une période de non sollicitation, deviendra-t-il la norme comme le pressentait déjà le film de Pixar Wall-E il y a 15 ans?
Le cocktail (fréquence X intensité)
Dans toutes ces catégories, au fur et à mesure de l’innovation technologique, et de l’intensification de nos modes de vie urbains on se sollicite avec une intensité croissante. Etre assis dans un café et lire un journal sans fotos en noir et blanc au 19eme siècle et regarder BFM TV avec deux bandes de textes, de la vidéo couleur, du son, deux sujets traités en même temps, avec potentiellement un autre écran qui diffuse un match de foot ou le tiercé ce sont deux intensités très différentes.
La surcollicitation génère le brouillard, et le brouillard parfois invite l’anxiété
Plus on est sollicité en permanence et avec intensité, plus la réalité des évènements vécus, physiques peut se retrouver distante, voire nécessiter un effort inhabituel, réellement éprouvant pour y parvenir.
Cette surcharge d'informations, de sollicitation, de stimulation peuvent nous submerger, nos corps et nos rythmes biologiques ont du mal à suivre, et face à cette saturation, nous devenons confus et j’entends souvent cette notion de “brume”, de “brouillard” mentionnée par mes patients. Ce brouillard fait que nous nous sentons déboussolés et peut générer de l'anxiété, car nous ne savons plus comment agir ou penser.
Parfois la stimulation permanente sur des sujets périphériques, sans grand enjeu personnel peut être aussi une situation de confort pour les personnes qui évitent ainsi de se confronter à des situations ou des décisions personnelles qui leur font peur.
Déconnexion, Abstinence ou Hygiene de la “dé-stimulation” au quotidien ?
Principalement aujourd’hui se font des expériences de déconnexion temporaires et exceptionnelles, sous forme de retraite yoga, de méditation ou de “jeûne numérique”. Comme les jeûnes alimentaires, ils légitimement de revenir dans un mode hyper-stimulé, de continuer à encaisser voire même d’aller toujours plus loin dans la stimulation.
Se dé-stimuler n’est pas une abstinence qui nous inciterait à déposer nos smartphones ou faire des expériences de “déconnexion” dans des zones blanches sans wifi ni 4G. C’est une discipline, une vigilance régulière à mettre en place
Face à cette montée permanente de la sollicitation, des stimulations, nous nous devons d’accepter que l’abstinence est une illusion, par contre on peut tenter de réduire l’intensité, dont voici quelques pistes. Je ne doute pas que vous en trouverez de nombreuses autres que vous avez peut être déjà expérimentées:
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mettre son smartphone en noir et blanc quand on est entrain de travailler dessus et pas en mode loisir. Faites l’expérience vous verrez à quel point l’excitation visuelle due à la couleur est frappante lorsque vous la remettez après quelques heures
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choisir un nombre limité de médias d’information pour soi - vouloir être informé de tout et connaissant de rien est facile aujourd’hui. Chosir 2 ou 3 médias en écart avec ses croyances existantes (effet de bulle) pour travailler la plasticité de son cerveau est une option pour réduire et ralentir à la fois.
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sélectionner pro-activement les notifications essentielles - le smartphone est le roi de la stimulation, ne revenons pas dessus. Parfois pour une notification vous pouvez avoir jusqu’à 4 stiumlations, alerte de pastille sur l’appli, bandeau sur le fond d’écran, notification sonore… Mulltiplié par le nombre d’applis, le nombre de devices. Quelles sont les informations qui méritent réellement de vous stimuler ainsi? choisissez les, communiquez à vos proches ou collègues comment gérer la communication en cas d’urgence plutôt que d’être en urgence tout le temps.
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multiplier les petits reflexes quotidiens de protection des stimulations: marcher sur le trottoir ou il y a le moins de monde, s’asseoir au café à un endroit d'où on ne voit pas la télé, entraîner son oeil à ignorer les affichages publicitaires..
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développer les tâches manuelles (bricolage, jardin, travail créatif..) car c’est une manière d’être actif, travailler seul face, s’isoler des sollicitations tout en étant productif.
Si vous souhaitez proposer vos propres pratiques de dé-stimulation, n’hésitez pas à poster un commentaire.
Pour évoquer vos difficultés éventuelles d’hyper-sollicitation volontaire, de ressenti de brouillard, des sensations paradoxales d’immobilité dans ce tsunami d’activité, prenez RdV